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En attendant le surhomme


« A toujours été un peu bizarre. Très doué. »

Donc oui, on a là un Nietzsche avec sa célèbre moustache « bacchante » qu’on doit, comme dirait Sollers, « lui enlever toute de suite. » Malade, sombrant dans la démence. Il est sans nul doute Napoléon, car il est le double flagrant du meurtrier de « Crime et Châtiment » mais il est aussi Bouddha, regard en lotus face à la lumière d’un désastre ou peut-être du néant d’un Sartre pas encore né. Il est certainement, Dionysos à ses heures qui se mélangent avec ses virtuosités au piano et au violon. Il est aussi le défenseur d’un cheval quelque part à Turin et l’ennemi-révolté contre l’œuvre wagnérienne sacrée avec son agenouillement de vieux fatigué devant « l’amour est un oiseau rebelle » de Carmen. Nietzsche est tant de choses mais on le prend aussi pour d’autres : le véritable père de la psychanalyse, du nazisme, du satanisme moderne, de superman… ? Mais dans tout ça, que vaut cet épisode d’effondrement à Turin ? Et si comme tout art nietzschéen, cet acte « théâtrale » et donc « dionysiaque » délivrait un message sur l’avenir de l’Europe et de sa place dans le monde ? De L’avenir de « L’Allemand » dans la culture mondiale ?

"Vois en moi le tyran de Turin !"

Comment est-ce possible ? Il faut reprendre la scène : On a le philosophe en période intellectuelle très fructueuse. Une balade. Un cocher. Un cheval. Un fouet, une ville italienne Turin : place Carlo Alberto et surtout une date : le 3 Janvier 1889. L’homme s’interpose entre le fouet et la bête. Synchronise en sanglotant sa respiration avec celle de l’animal dont le regard se pose une question profonde sans mots. Nietzsche a été toute sa vie le constructeur du fouet par lequel des hommes soumettront d’autres hommes. Il est le véritable tyran malgré lui de l’Europe. Il est le Napoléon des esprits. Empereur qui n’a réellement découvert le monde du « dieu caché » qu’après avoir sombrer dans la « démence ». Beaucoup encore aujourd’hui pensent que cet événement est un drame dans la vie du philosophe, un malheureux accident qui a mis fin aux travaux du plus grand penseur de tous les temps. Mais cela n’est pas si sur. Cet effondrement est la suite logique à sa recherche, c’était le but de toute sa quête. Ses prières et ses appels dithyrambiques ont eu leur réponse.

« L’Affaire de Turin » est le symbole d’une Europe qui commençait déjà à se décomposer. Le cheval c’est peut-être l’Europe, c’est aussi peut-être l’européen c'est-à-dire l’Allemand ! (Il est lui-même le cheval avec son ami Paul Rée de Lou Salomé dans une célèbre photographie) Pas étonnant que Napoléon fut le plus Allemand des français après avoir été le plus français des italiens. Cet Empereur qui a pu même devenir égyptien mais pas russe, avec le même tragique que Nietzsche qui n’a jamais pu être Dostoïevski. Mais ce citoyen d’une Europe chimérique est une bête sauvage, qui malgré tous les progrès de propagande et de semblant démocratique a besoin toujours de fouet. L’Europe est une femme. Et c’est à travers son Zarathoustra que Nietzsche nous offre son secret: « Tu vas chez les femmes ? N’oublie pas le fouet.»

C’est la guerre qui donnera naissance à l’Europe telle qu’il l’imaginait, c'est-à-dire la mort de l’innocence et le risque d’un nihilisme plus puissant. Car face au désastre, l’esprit européen comme tout esprit humain est confronté à la tentation du magique et de la superstition. L’emblème de l’Union Européenne doit peut-être remplacée par un cheval fouetté. Avant de s’effondrer l’auteur de l’Antéchrist enlace l’animal flagellé, dernier geste d’une âme cohérente – cohérente c'est-à-dire idéaliste- Mais au même moment où nous enlevons à Nietzsche sa moustache, il faut aussi remplacer le cheval par un Taureau. Ce même Taureau qui enleva Europe pour la séduire et qui est le symbole de la sauvagerie humaine. On y comprendra ce fameux labyrinthe : « Au-delà du nord, de la glace, de la mort - notre vie, notre bonheur… Nous avons découvert le bonheur, nous connaissons le chemin, nous avons trouvé l’issue de ces milliers d’années de labyrinthe. » Toute L’œuvre de Nietzsche est résumée en cette affaire, dans cette place Carlo Alberto qui était assez fréquentée pour que la scène fasse parlait d’elle pendant des jours. Il y a dans le cocher, une naissance de la tragédie, un humain trop humain, un gai savoir. Dans le fouet, un Zarathoustra, une généalogie de la morale, une aurore et un par delà le bien et le mal. Et en Nietzsche effondré : un crépuscule des idoles, un antéchrist et un bruyant Ecce Homo.

« Mutter, ich bin dumm ! »

Il y a enfin dans ce : « Mutter, ich bin dumm ! » la même musique que celle du « Elahi ! Elahi Lima Sabachtani » du Christ Crucifié. Il y a un abandon, une erreur, une arnaque et dont l’homme ne découvre l’ampleur que tardivement. Nietzsche a trouvé sa croix et elle était dévastatrice. Il s’est retrouvé vulnérable aux mains de sa mère et sa sœur, symboles vivants de la « mère allemande » , cette mère qu’il méprisait totalement. Il est drôle qu’en mettant le « Mère ! Je suis stupide » et le « Dieu ! Dieu , pourquoi m’as-tu abandonné ? » on obtient la ruse d’un autre allemand américanisé Bukowski, qui aurait bien lu Nietzsche et qui n’a pas hésité à conseiller aux aventuriers des profondeurs de ne pas essayer : « Don’t try ! ».

Finalement, l’épisode de Turin suivi de son dernier voyage entre l’hôpital de Bale en Suisse et les bras antisémites de sa Sœur (future amie d’Hitler) à Weimar, n’était pas une fin tragique mais un accomplissement joyeux d’un esprit hors du commun que l’histoire attend de répéter encore et encore « éternellement », en Europe ou ailleurs. Peut-être en Afrique !? (Là où la sauvagerie ne demande qu’à être domptée par un nouveau fouet.)

A Turin, Nietzsche a enfin rejoint Dionysos. « Tout est accompli » comme l’aurait dit le crucifié.

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