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Entretien: Parles-moi des frontières.

Pour sa 7ème édition le LAB619, collectif tunisien de BD expérimentale, a exploré avec la participation d’amis algériens le thème « Identités ». Regroupés lors d’une première résidence artistique à Dar Bach Hamba, à Tunis, les participants sortent avec un projet artistique intermaghrébin constitué d’un album de bande-dessinée, d’illustrations et de cartes postales abordant entres autres le sujet de la nouvelle vague xénophobe envers les réfugiés.

Le tournant de l’année 2016/2017 a connu une des plus grandes crises de réfugiés dans l’Histoire. Cette sensation de « crise » relayée par les médias n’est pas n’a seulement liée à la « quantité » de masse humaine qui est allée chercher refuge dans des pays dont la politique extérieure est paradoxalement complice de son malheur, elle est aussi liée à une perplexité sociale générale qui menace de faire ressortir d’anciens démons qu’on oublie parfois n’avoir que récemment ensevelis. Cette perplexité enchevêtrée avec des conditions de précarité économique est aussi un défi qu’Alger essaye de relever…ou pas.

Ces dernières années, une centaine de réfugiés venus pour la plupart du Mali et du Niger, se sont installés au tour de la capitale Alger dans des camps constitués de tentes et carton. Sommés d’habiter l’errance, ces familles habitent les rues et gagent leur vie de l’aumône tandis que d’autres travaillent en noir. Cette situation a engendré une série de heurts entre algériens et migrants. Les réseaux sociaux ont été enflammés par des slogans et des hashtag criant « Non aux africains en Algérie », une contradiction linguistique qui en dit long. Dans les milieux intellectuels mais aussi artistiques, le débat prend plusieurs formes.

Le G.MAG s’est entretenu avec un des participants algériens de la résidence artistique tunisienne Sid-Ali Dekar, dont l’œuvre porte le titre interrogatif de : « Qu’est-ce qu’une frontière ? ». Graphiste et illustrateur, Sid Ali effectue ses études à l'Institut des Arts Graphiques d’Alger, puis entame une carrière dans une agence de publicité. En 2011, il suit un atelier de bande dessinée qui résultera en la formation d’un collectif d’auteurs et un album «Monstres ». Depuis il se consacre à l’illustration et à l'écriture.

Pouvez-vous nous nous parler un peu de votre parcours ?

Je suis autodidacte, j’ai commencé par le bas, tout seul, en touchant à plusieurs disciplines. Avec le recul, je perçois ce cheminement comme très bénéfique, se prendre en main dès le jeune âge t’apprend à construire une personnalité forte et originale dans le travail et à établir des méthodes efficaces. Comment avez-vous élaboré votre Bande Dessinée ?

Dans mon travail j’essaye toujours de renouveler ma narration, je tente d’interagir avec le lecteur suivant le message que je souhaite véhiculer. Sur ce projet par exemple, afin d’éviter la moralisation (vu que le sujet s’y apprête facilement), j’ai cherché à questionner le lecteur pour l’amener à méditer sur le concept des frontières ou des limites. Une frontière peut être négative comme positive, et de ce fait, j’ai choisis d’interroger le mot, dans toute sa complexité, tout en exploitant son potentiel poétique par la narration graphique. Par-là, j’ai souhaité attirer l’attention du lecteur sur une double-fonction des frontières : protéger autant qu’emprisonner.

Que pensez-vous de cette nouvelle vague xénophobe envers les réfugiés africains en Algérie ?

Je pense que cette vague xénophobe sert clairement une certaine politique, détourner la révolte de la classe moyenne qui s’amplifie de plus en plus en Algérie contre les détenteurs du capital. La population prend de plus en plus conscience des manipulations faites depuis l’indépendance par une certaine élite politique, militaire et économique. Le malaise est palpable de jour en jour et une révolte pacifique se confirme sans aucun doute. Mais quoi de plus facile que de détourner le combat naissant en désignant du doigt la classe la plus démunie: les « réfugiés » ! Quels instruments de dessin que vous avez utilisé pour ce projet ?

De l’encre et un pinceau, tout simplement, et pour plusieurs raisons. Il faut dire d’abord que le noir et blanc a été exigé par rapport à l’impression (monochrome). Par la suite, il fallait penser au temps d’exposition, il fallait produire en une semaine au moins un début de bande dessinée, j’ai dû choisir le moyen le plus rapide pour l’exécution ! Ceci-dit, le travail à l’encre donne une grande liberté d’expression et même les taches et les accidents trouvent une place dans l’œuvre !

Qu’est-ce qui vous a amené au dessin ?

Qu’est-ce qui m’a ramené au dessin plutôt. Je pense qu’étant enfant on dessine tous. Petits, on est tous un peu artistes, et la tragédie de la vie est qu’on perd rapidement ce pouvoir créatif, cette innocence et cette passion. Ce qui m’a ramené au dessin est un livre sur Rembrandt, ses tableaux et dessins ont énormément marqué mon adolescence, j’y ai trouvé une très grande force poétique… C’est à cet âge que j’ai eu de nouveau envie d’exprimer mes propres émotions, que ça soit par le dessin, la musique ou les mots…

Vous lisez quoi ?

Des mots (rire). Je lis de tous, je lis avec modération, en choisissant à l’avance mes lectures, j’aime les livres qui poussent à la méditation et à la réflexion. Aussi, je reviens souvent vers les livres qui m’ont marqué, qu’ils soient religieux, philosophiques ou poétiques ! En définitive, je pense que l’écriture est l’art suprême, l’homme n’a jamais trouvé un meilleur moyen pour s’exprimer avec autant d’exactitude que l’écriture, et cette idée de transmission à travers les générations est quelque chose de très fort. J’ai beaucoup d’admiration pour la littérature antique, l’épopée de Gilgamesh est d’une modernité déconcertante, pareil pour la littérature grecque. Je pense un peu comme Rodin, qui disait que l’art n’évoluait pas. Il se trouvait petit en se comparant à Michel-Ange et trouvait Michel-Ange petit face à Phidias ! Reliez-vous le dessin à votre intérêt pour la littérature ?

La littérature a été la première discipline qui m’ait offert un imaginaire, les images poétiques en littérature sont une chose qui me fascine toujours. Je suis très amateur de style en littérature, je n’aime pas la littérature d’idée, j’aime les stylistes… Ça ne veut pas dire que les stylistes ne portent pas d’idée ou de concept. Au contraire ! Le dessin est à mon sens la concrétisation de ces idées, l’inspiration première de l’image a souvent été la littérature, qu’elle soit religieuse ou poétique ! L’un nourrit l’autre et vice-versa…

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